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Coronavirus : « L’Afrique doit s’émanciper pour mettre en avant sa propre recherche scientifique »

Coronavirus-RENDEZ-VOUS DES IDÉES

LE RENDEZ-VOUS DES IDÉES. Saluant les efforts menés par Madagascar et le Bénin, l’anthropologue Alfred Babo appelle le continent à inventer ses propres modèles en faisant fi du regard de l’Occident.

Tribune. C’est parfois avec un brin d’ironie et de ridicule que les remèdes contre le Covid-19 trouvés à Madagascar (Covid-Organics) et au Bénin (Apivirine) sont commentés dans les médias occidentaux. Très peu de crédibilité est accordée au savoir et à la recherche des Africains, surtout s’ils ne sont pas en accord avec des institutions réputées telles que l’Institut Pasteur ou tout autre centre de recherche européen ou américain. La crédibilité de l’Afrique, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’a toujours été attribuée que par l’Occident et selon les normes établies et éprouvées par les Occidentaux.

Prenons l’exemple de l’art. Les qualités, la valeur et la renommée dite mondiale d’une œuvre d’art ou d’un ingénieux artiste peintre africain ne sont reconnues que lorsqu’ils sont exposés dans les galeries et musées occidentaux. Il en est de même dans le domaine du sport ou de la musique, où de grands sportifs ou talentueux musiciens ne se voient auréolés de gloire internationale que lorsqu’ils sont adoubés dans France Football ou recrutés dans les clubs ou les majors de disques européens.

Dans le domaine de la publication académique, les universités, y compris africaines, accordent plus de valeur à un article publié dans une revue européenne ou américaine qu’à un autre paru dans une revue de l’université de Yaoundé ou de Ouagadougou. Au plan politique, les Africains sont passés des partis uniques post-indépendance au multipartisme sur injonction des Occidentaux, dont la démocratie est faussement présentée comme universelle.

Cette façon de procéder a annihilé et continue d’inhiber toute capacité des Africains à explorer et valoriser leurs propres modèles politiques ou à réfléchir à des formes de gouvernance politique adaptées à leur civilisation. De fait, les Africains se sont enfermés dans une philosophie de copiage et de consommation du modèle économique, social et politique occidental. Il leur a été inculqué depuis l’esclavage et le colonialisme que tout ce qui vient d’eux-mêmes, comme leurs langues, leurs religions, leurs normes ou leurs médecines, n’a aucune valeur tant que l’Occident ne la lui a pas reconnue et attribuée.

La construction de la dévalorisation culturelle de l’Afrique s’est opérée sur des ressorts scientifiques à travers l’usage de concepts condescendants tels que « indigène », « local », « exotique », « traditionnel », « tribu », « ethnie », etc., pour caractériser tout ce qui est relatif à l’Afrique. Cette propension à sous-évaluer la civilisation africaine s’est tellement bien incrustée chez les Africains eux-mêmes que certains Etats font la guerre à la médecine dite « traditionnelle ». Ainsi l’Afrique, critiquée pour n’être que dans une posture d’attente et d’assistance permanente, se retrouve moquée par l’Occident lorsqu’elle prétend avoir trouvé un remède à un virus qui a révélé les apories du modèle occidentalocentré.

En finir avec le copier-coller

Face à la crise sanitaire liée au coronavirus dans le monde, l’Afrique aurait-elle pu enfin s’émanciper et s’engager dans une révolution culturelle qui puisse mettre en avant sa recherche scientifique ? On peut répondre par la négative, quand on voit les mesures copiées-collées que certains dirigeants africains ont prises et qui se sont avérées inadaptées, irréalistes, si ce n’est ridicules au regard des réalités africaines. Comment assurer un confinement et une survie sociale et économique lorsque la majeure partie de la population vit au jour le jour au sein d’une économie largement informelle ? Comment et pourquoi fermer les écoles comme en Europe, au lieu de vacations et rotations de petits groupes d’élèves, lorsqu’à la différence des Occidentaux, on ne peut assurer des enseignements à distance ?

Cette tendance à reproduire de façon frénétique et irréfléchie les solutions occidentales peut laisser croire que l’Afrique ne saisira pas la crise du coronavirus pour enclencher sa révolution culturelle, clé de voûte de toutes les autres émancipations. Or les exemples malgache et béninois de recherches tendent à attester que, bien au contraire, non seulement la volonté de réfléchir par eux-mêmes existe, mais aussi que des ressources humaines de qualité existent et ne demandent qu’à être mises en avant par les Africains eux-mêmes.

Il n’est pas dit que ces recherches ne passeront pas par des fiascos, mais les Africains ne doivent pas être complexés par l’échec. Savons-nous combien de revers ont essuyé les Chinois, les Emiratis et les Sud-Coréens pour accomplir les avancées technologiques que le monde entier leur reconnaît aujourd’hui ? Les Occidentaux n’ont-ils pas raillé les produits chinois, traités de camelotes sans valeur et non durables, avant de faire de la Chine l’usine du monde ? Toutefois, autant la Chine s’est modernisée et imposée, autant elle l’a fait en se centrant sur ses propres valeurs pour concurrencer l’Occident. A l’image de ces exemples, l’Afrique a des qualités propres à faire valoir pour s’imposer sur l’échiquier mondial.

L’Afrique subsaharienne a connu un taux de croissance annuelle de 5,5 % en moyenne depuis le tournant du siècle, contre seulement 1,35 % pour la zone euro. Or des travaux récents montrent que ces chiffres ne rendent pas compte de la progression des niveaux de vie et de la réduction de la pauvreté en Afrique depuis le milieu des années 1990. L’Afrique, longtemps pensée hors du temps, coupée du monde et rétive à la croissance, serait en train de changer de visage, discrètement, en ce début de XXIe siècle. Si cela est vrai, pour continuer cette marche, l’Afrique doit résolument quitter les sentiers tortueux du modèle de copier-coller et engager sa propre révolution culturelle fondée sur la valorisation de ses savoirs, trouvailles et connaissances.

L’Afrique doit pouvoir déjouer les règles du capitalisme occidental qui, d’une manière ou d’une autre, gouverne les institutions internationales, y compris l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en s’émancipant des conseils des « experts internationaux ». Elle doit soutenir efficacement les recherches engagées par ses médecins, biologistes et scientifiques. Avec une force économique et une volonté propres, les pays africains peuvent bâtir une industrie pharmaceutique capable de transformer leur système sanitaire et offrir des soins adaptés à leurs populations.

Pour une culture de la « domination »

Soixante ans après les indépendances, il est temps de faire la rupture et de sortir des sentiers battus en transformant la médecine dite « traditionnelle » ou « indigène » en socle d’un système sanitaire moderne et enraciné dans la culture africaine. Par exemple, la nécessité de sensibiliser les masses sur les mesures barrières liées à la pandémie a révélé l’importance des langues nationales, qui doivent être, plus que jamais, modernisées et érigées en langues officielles, au même titre que – sinon avant – les langues coloniales. Dans ce schéma, la modernité ne devrait pas être perçue comme l’adoption de la civilisation occidentale, mais comme la capacité à systématiser la rationalité des savoirs africains afin de leur donner une plus-value.

Cette rupture avec le modernisme occidental n’adviendra que si les Africains décident de développer une véritable autonomie de pensée basée surtout sur une culture de la « domination ». Il faut comprendre cette dernière notion non pas comme « menace » ou « oppression » des autres, mais comme « émergence » d’une puissance voire superpuissance idéologique. Une idéologie guidée par l’idée de diffuser les valeurs et surtout les créations économiques, politiques, culturelles, technologiques et médicales africaines dans le monde. Cela suppose que l’Afrique sorte de sa position de consommatrice des cultures (politiques, économiques et technologiques) des autres pour s’engager dans la posture de la créativité et de l’invention, en transformant ses inquiétudes, ses défis et les railleries dont elle fait l’objet en dynamiques.

Plus que jamais, et comme le disait l’écrivain Daniel Etounga Manguellé, l’Afrique a besoin d’un « programme d’ajustement culturel » fondé sur l’idéologie de la domination. Les Américains, et plus largement les Occidentaux, ne se cachent pas de cette volonté de dominer le monde. Toute leur histoire, qu’elle soit liée aux explorations, à la découverte de nouveaux mondes, à l’esclavage ou la colonisation, répond de cette idéologie d’imposer sa civilisation au reste du monde.

Dans son discours sur l’état de l’Union en 2009, le président américain Barack Obama déclarait avec gravité qu’il n’accepterait pas de « laisser la Chine devenir la première puissance mondiale ». Une telle déclaration traduit un état d’esprit commun aux élites, mais aussi aux citoyens ordinaires américains. Et la volonté de dominer des Occidentaux face à la Chine, la Russie, la Corée du Nord ou même l’Iran finit de les convaincre de la nécessité de transcender leurs peurs et limites, puis de transformer leurs inquiétudes en dynamiques et lancer de nouvelles révolutions dans les domaines économique, militaire, aéronautique, technologique, informatique, environnemental, médical, etc.

Si l’Afrique se fait un complexe et ne nourrit aucune idéologie ou culture de domination, étant entendu que celle-ci devra constituer l’élément moteur de son progrès technologique et économique, elle ne pourra jamais se lancer résolument à la conquête du reste du monde avec ses moyens, ses savoirs, ses valeurs et ses compétences. Curieusement, la culture de la domination est la seule idéologie que les Africains n’ont vraiment jamais apprise ni copiée auprès de leurs anciens colonisateurs occidentaux.

Alfred Babo est professeur d’anthropologie et d’études internationales à Fairfield University (Etats-Unis).

 

 

lemonde.fr

Written by Arame

Technicien Bâtiment/Superviseur des Travaux BTP/Humanis Capital/Ingénieur Responsable /Directeur Général BTP:/Bâtiment et Travaux publics /Recrutement de plusieurs techniciens supérieurs BTP

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