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Au Cameroun, la difficile rentrée des classes des déplacés anglophones

Education au Cameroun
Gaelle Dule Asheri (L), 17, a soccer player, who is amongst the first wave of girls being trained by professional coaches at the Rails Foot Academy, walks with her classmates at a bilingual high school where she prepares for her final baccalaureate exams in Yaounde, Cameroon, May 2, 2019. Asheri never gave up her dream despite strong opposition from her mother who feared she would lose her daughter to a "men's game". "I used to train with boys, so with boys there were some exercises I was not allowed to do because I am a girl," she said. When she first started playing soccer in the dirt streets near her home, she was the only girl on the informal neighbourhood teams. "I picked up the ball, I kicked it and I never looked back," Asheri said, recalling the childhood street soccer games with her male cousins and neighbours. REUTERS/Zohra Bensemra SEARCH "CAMEROON GIRLS" FOR THIS STORY. SEARCH "WIDER IMAGE" FOR ALL STORIES. - RC15822D6B70

L’Afrique fait sa rentrée (5). Le gouvernement a décrété la gratuité des frais de scolarité pour les élèves qui ont fui le conflit. Mais les lycées sont débordés et certains monnaient les places.

Enveloppée dans une robe noire délavée, Sally* jette un regard triste sur ses maigres tomates et condiments disposés sur une bâche étalée à même le sol au marché Mambanda, à l’ouest de Douala, la capitale économique du Cameroun.

« J’ai dépensé tout mon capital dans la scolarité de mon fils aîné. Cela faisait trois ans qu’il n’allait plus à l’école. J’ai dû payer 60 000 francs CFA (91 euros) pour l’inscrire au lycée bilingue de Mambanda », explique-t-elle dans un français approximatif. Depuis fin août, cette femme de 38 ans, que l’adversité fait en paraître dix de plus, partait tous les matins faire le tour des lycées de la zone, suppliant les responsables « d’accepter son gentil fils ». En vain. A chaque fois, la réponse était la même : « Nous sommes débordés. Les classes sont pleines. »

Originaire de Mamfe, dans la région anglophone du Sud-Ouest, et arrivée à Douala fin 2017 avec mari et enfants suite au conflit en cours dans cette partie du pays, Sally s’est finalement résignée à donner de l’argent à un enseignant qui lui assurait avoir l’oreille des chefs d’établissement.

« Notre fils avait de mauvaises fréquentations. On a eu peur que l’oisiveté ne le pousse dans des gangs. Mon mari, maçon, et moi avons réuni toutes nos économies. On n’a même pas pu payer notre loyer depuis juillet. Mais, Dieu n’oublie pas ses enfants, assure-t-elle. Nous avons déjà trop souffert à cause de la crise » qui sévit dans le Nord-Ouest et Sud-Ouest.

Gratuité des frais de scolarité

A cause du conflit armé opposant les séparatistes qui revendiquent l’indépendance de ces deux régions anglophones et les forces de défense camerounaises, plus de 500 000 personnes ont fui les violences pour se réfugier dans les forêts environnantes, au Nigeria et dans les régions francophones du Cameroun. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), 4 437 écoles étaient fermées dans ces régions au mois de juin, privant plus de 600 000 enfants de scolarisation.

En cette rentrée, débutée le 2 septembre, le gouvernement camerounais a annoncé la gratuité des frais de scolarité pour tous les déplacés anglophones dans les établissements publics. « Le recrutement des enfants déplacés est effectif dans les lycées, insiste, à Douala, Sylvestre Fils Moukalla, délégué départemental des enseignements secondaires. Il n’y a pas de frais. »

Ce même responsable a pourtant publié un communiqué à l’intention des responsables de lycées, dans lequel il « dénonce avec la dernière énergie (…) le monnayage des places, le recrutement abusif ». « Lorsqu’un enfant déplacé arrive, sa structure d’accueil le reçoit avec gentillesse », est-il préconisé.

Sur le terrain, la réalité est différente. Comme Sally, de nombreux parents confient avoir déboursé des sommes variant généralement entre 50 000 et 75 000 francs CFA (76,22 et 114,34 euros) pour inscrire leur enfant dans des lycées bilingues de Douala aux effectifs parfois pléthoriques. Un montant conséquent dans un pays où le salaire minimum est de 36 270 francs CFA, a fortiori pour ces parents déplacés qui ont tout laissé derrière eux pour fuir la guerre.

Enseignante, Felicity accueille dans sa petite maison plus d’une dizaine de déplacés. Des neveux, des sœurs, des cousins, des orphelins de la guerre… La famille peine à manger. Pour envoyer les enfants à l’école, les déplacés les plus âgés font des petits boulots et elle a « hypothéqué » plusieurs mois de son salaire.

« En 2018, nous avons payé 100 000 francs CFA pour deux enfants au lycée bilingue de Bonabéri à un surveillant général », soupire-t-elle. Sonny, 42 ans, originaire de Bamenda dans le Nord-Ouest, a lui vendu son smartphone, cadeau de son neveu, pour régler la scolarité de sa fille au lycée bilingue de Bonabéri, soit 75 000 francs CFA.

Corruption généralisée

Les proviseurs de ces établissements publics nient les faits. « Notre devoir est d’accueillir tous les élèves déplacés (…) Je ne suis pas au courant de ces négociations », jure la proviseure du lycée de Mambanda, qui précise même avoir affecté une secrétaire pour s’occuper des élèves déplacés.

« Dites à ceux qui ont payé de venir me voir », lâche Thérèse Aimée Anges Beboua, proviseure du lycée bilingue de Bonabéri. « Il ne faut pas oublier que beaucoup de parents qui ne sont pas des déplacés profitent de cette gratuité pour frauder et nous les détectons », accuse quant à lui un responsable du lycée bilingue de Deido.

Ces réactions font sourire Alice Priso, secrétaire permanente adjointe de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic). En 2017, cette ONG a mené une vaste enquête dans des lycées de Yaoundé, la capitale. L’équipe a dévoilé, preuves à l’appui, le monnayage des places. Face au scandale de corruption, l’ancien ministre des enseignements secondaires a dû réagir et sanctionner… sans pour autant que la situation ne change.

« Cette pratique est devenue générale, s’attriste Alice Priso. Les parents anglophones sont dans une situation plus irrégulière. Alors ils préfèrent sauvegarder l’avenir de leurs enfants qui ont passé un ou deux ans sans fréquenter l’école en payant, même s’ils savent que c’est gratuit. Surtout qu’il n’y a pas beaucoup de places. »

La plupart des lycées visités confirment être débordés. « On a toujours plus de demandes que d’offres », avance un enseignant du lycée bilingue de Sodiko. « Au collège, on me demandait 100 000 francs CFA pour un enfant. C’est énorme », confie Awah*, un parent ayant fui le Sud-Ouest avec ses huit enfants. Il a eu la chance de scolariser deux d’entre eux, gratuitement, au lycée bilingue de Bonabéri. Après avoir essuyé des refus, il s’était rendu chez le sous-préfet et le délégué.

« Ville morte »

Assise derrière son étal, Sally n’attend plus que le retour de la paix pour rentrer chez elle et s’occuper de ses champs d’ignames. Mais au téléphone, en ce début septembre, son grand-oncle lui décrit un village fantôme, où les rares enfants présents ne sont pas allés à l’école de peur d’être tués.

Malgré les multiples campagnes de retour à l’école initiées par la société civile et le gouvernement, la rentrée est « presque inexistante » dans cette partie du pays. Dans le nord-Ouest, sur près de 422 000 élèves attendus, moins de 7 000 ont répondu présents après deux semaines de classe. « Ce chiffre s’explique par le fait que les séparatistes ont décrété trois semaines de ville morte », justifie Wilfried Wanbeng Ndong, délégué régional de l’éducation de base dans le Nord-Ouest, joint au téléphone.

Dans un discours à la nation mardi 10 septembre, Paul Biya, président du Cameroun, a annoncé la tenue dès la fin du mois, d’un « grand dialogue national » afin de mettre fin à la guerre dans les régions anglophones. En attendant, les milliers d’élèves déplacés vivant à Douala rêvent surtout de reprendre le chemin de l’école.

« Si le gouvernement était vraiment sérieux dans sa démarche, il créerait des salles de classe dans des églises, les mosquées et autres endroits. On parle de dizaine de milliers d’élèves déplacés. Les lycées offrent à peine des centaines de places », s’offusque le surveillant général d’un lycée, qui a souhaité garder l’anonymat.

 

 

lemonde.fr

Written by Abdourahmane

Je suis Diplômé en Aménagement et Gestion Urbaine en Afrique, Spécialiste en économie urbaine en même tant Reporter et Éditeur au Journal Universitaire. Je suis également un passionné des TIC.

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