La mesure fait grincer des dents au sein du milieu universitaire. Dès la rentrée 2019, les droits d’inscription vont exploser pour les étudiants extra-européens dans l’université française d’après l’annonce effectuée par le Premier ministre Edouard Philippe le 19 novembre dernier. L’objectif, d’après le gouvernement, serait d’augmenter le nombre de bourses et améliorer l’accueil dans les universités.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un plan global nommé « Bienvenue en France ». Celui-ci devrait conduire, toujours selon le gouvernement, à la venue de 500.000 étudiants venus d’autres pays en 2027, contre environ 300.000 aujourd’hui.
Cette augmentation ne concernera pas ceux qui se trouvent actuellement en cours de cycle d’études (licence, master ou doctorat). En revanche, ces derniers paieront les nouveaux tarifs au moment de démarrer un nouveau cycle (par exemple, un étudiant ayant fini sa licence et souhaitant démarrer un master).
Des multiplications de tarifs allant de 9 à 16
Les conséquences sont donc importantes sur le portefeuille de ces étudiants étrangers de l’université d’Orléans. Cette dernière s’est d’ailleurs exprimée contre cette mesure par l’intermédiaire de son conseil d’administration, estimant que « l’université française doit être ouverte et accessible à tous, sans condition de nationalité ».
Rencontrés sur le campus à l’occasion d’une mobilisation organisée par plusieurs syndicats, deux étudiants tchadiens et un professeur originaire du Cameroun ont accepté de témoigner sur cette nouvelle situation.
« C’est la construction d’une élite des riches au détriment du talent. »
Abdramane Adam (étudiant tchadien en droit)
Agé de 20 ans, Abdramane Adam a déjà les idées claires et la tête bien remplie. Cet étudiant inscrit en deuxième année de droit souhaite s’engager en politique dans son pays pour, dit-il, « défendre les intérêts du peuple », affirmant vouloir « faire quelque chose pour changer le pays ». Mais pour cela, il souhaite poursuivre ses études, et pourquoi pas même tenter l’ENA ou Sciences Po.
Il projetait d’aller jusqu’au doctorat. Mais la hausse des frais d’inscription risque de compromettre cette ambition, ses parents n’ayant, selon lui, pas les moyens de la financer.
Sa déception est palpable : « Au départ, quand les gens disaient que la politique macronienne favorisait les riches, je n’étais pas d’accord. Mais là, j’ai changé d’avis. Si vous avez de l’argent, vous êtes les bienvenus, même si vous n’avez pas de talent. »
« Diplomatiquement, c’est destructeur ! »
Prosper Mouak (professeur d’économie et gestion à l’Ecole universitaire de management d’Orléans)
Prosper Mouak est professeur d’économie et de gestion à l’Ecole universitaire de management d’Orléans. Originaire du Cameroun, il a effectué ses études en France dans les années 80. S’il a depuis longtemps changé de côté dans l’amphithéâtre et dans la salle de classe, il souhaite apporter son soutien aux étudiants concernés par cette décision.
« Ce qui se passe pour les personnes d’origine africaine est scandaleux ! Il n’y a pas d’explication logique à cela. C’est illusoire de penser que les étudiants asiatiques combleront les baisses d’inscriptions laissées par les jeunes africains. Ils privilégieront toujours les pays anglophones »
Remonté contre cette mesure, l’enseignant estime que « diplomatiquement, c’est destructeur », en faisant référence à la perte d’influence de la francophonie dans le monde.
« Il y aura des répercutions sur la francophonie. »
Issa Aboubakar (étudiant tchadien en droit)
Comme Abderamane, Issa Aboubakar est étudiant tchadien et également inscrit en droit (mais en première année). Ses droits d’inscription ne bougeront, certes, pas durant son cycle de licence. Mais le jeune homme de 20 ans voyait lui aussi un peu plus loin. Il comptait ainsi se lancer à terme dans un master en criminologie.
Sauf que la note risque d’être extrêmement salée entre sa troisième année de licence (170 €) et sa première année de master (3.770 €, soit une multiplication de ses frais d’inscription par 22 !).
« Je considère cette mesure comme discriminatoire », étaye-t-il. « Cette politique veut clairement dire que si tu n’as pas les moyens, tu ne peux pas étudier. C’est illogique. L’éducation doit être garantie pour tous. La coopération entre pays doit aussi se faire sur le plan de l’éducation. »
Au-delà de son cas personnel, Issa s’inquiète surtout pour les autres étudiants de son pays qui le sollicitent régulièrement sur la question et qui pourraient renoncer à leurs projets d’études en France.
Il estime enfin « qu’il y aura des répercutions sur la francophonie. Non seulement, il y aura une mauvaise image de la France, de la langue française et de la francophonie », regrette-t-il, estimant que l’Hexagone « est le berceau des droits humains ».
Opposition
Parmi les détracteurs politiques de cette hausse des frais d’inscription, le sénateur PS Jean-Pierre Sueur a indiqué être en « total désaccord », soutenant que la venue d’étudiants étrangers est « un atout pour la France, pour son rayonnement dans le monde, pour la francophonie, la culture et l’économie ».
larep.fr