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Algérie : le plus dur commence dans la réforme de l’Éducation

réforme de l'Éducation
REPORTAGE. Alors qu’elle est en attente depuis une quinzaine d’années, la réforme de l’école est partie pour être accélérée par la ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghabrit. Une gageure qui déplaît aux milieux islamistes.

En Algérie, le chantier de la réforme du système éducatif a été ouvert durant le premier mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Une commission nationale constituée de 160 membres, dont l’actuelle ministre de l’Éducation nationale, a été installée en 2000. Les travaux ont duré plusieurs mois. Un rapport a été remis au chef de l’État en 2001. Les mesures qu’il préconise, comme l’introduction de la langue française dès la deuxième année de primaire, suscitent de nombreuses critiques notamment dans les milieux conservateurs et islamistes. La mise en œuvre de la réforme intervient, tout de même, en 2003. Sur le terrain, les obstacles se sont comme multiplés à mesure que le temps passait.

De quelles réformes parle-t-on ?

La réforme s’article autour de trois axes : la qualification de l’encadrement, la refonte de la pédagogie et la réorganisation générale du système éducatif. Son lancement coïncide avec les grèves des enseignants du secondaire, paralysant de nombreux établissements scolaires durant plusieurs semaines. Leurs revendications portent notamment sur l’augmentation des salaires et sur le régime de retraite. C’est le début des grands mouvements de protestation dans le secteur. Les syndicalistes arrachent certaines victoires, dont la reconnaissance officielle de leurs organisations. Le statut du personnel de l’éducation est révisé à deux reprises. Mais le climat de protestation s’installe.

Pourquoi les syndicats se rebiffent-ils ?

Durant ces dernières années, la « précipitation » du ministère de l’Éducation a agi comme un frein dans la mise en œuvre de la réforme, selon l’un des principaux syndicats du secteur. « Nous avons dit dès le début que la précipitation du ministère ne va pas régler les problèmes du secteur », assure Messaoud Boudiba, porte-parole du Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapeste). La révision des programmes a été lancée avant la formation des enseignants, selon lui. « En 2003, en 2004 et même après en 2016, les enseignants ont découvert les nouveaux livres au même moment que les élèves », regrette-t-il. « L’enseignant doit être bien préparé, poursuit M. Boudiba. La politique du fait accompli, la précipitation et le manque de préparation aux différents changements et aux réformes sont à l’origine des problèmes posés. »

Ne pas former les enseignants avant, une erreur stratégique ?

Point nodal du projet de réforme du système éducatif, la formation des enseignants a été négligée durant les premières années. « C’était une erreur stratégique. On traîne encore l’impact de cette erreur », reconnaît Ahmed Tessa, pédagogue et ancien cadre du ministère de l’Éducation. Et d’ajouter : « L’impact d’une mesure stratégique en matière d’enseignement se fait ressentir dans la durée et pas dans l’immédiat. Et il faut du temps pour corriger. »

« C’est le principal défi à la réforme dans toutes ses étapes 2001, 2003 et 2008, la formation des maîtres et des professeurs, qui restent prisonniers de schémas pédagogiques incompatibles avec l’évolution des méthodes pédagogiques et les postures épistémiques que cette réforme préconise et prétend imposer à un personnel (inspecteurs, enseignants et administration) dont l’idéologie éducative est encore imprégnée par les réflexes autoritaires, le parcœurisme et la tête bien pleine au lieu de la tête bien faite », estime Khaoula Taleb Ibrahimi, spécialiste en science du langage, professeure à l’université d’Alger et ancienne membre de la commission chargée de la réforme.

Malgrè les protestations, la ministre de l’Education nationale, Nouria Benghebrit, tient toujours à réformer le Baccalauréat. Après une série de consultations avec les partenaires sociaux, une série de proposition a été mise sur la table des discussions. © STR / AFP

Malgrè les protestations, la ministre de l’Education nationale, Nouria Benghebrit, tient toujours à réformer le Baccalauréat. Après une série de consultations avec les partenaires sociaux, une série de proposition a été mise sur la table des discussions. © STR / AFP

 

Levée de boucliers face à Nouria Benghabrit

En 2014, le président Bouteflika, élu pour un quatrième mandat, nomme Nouria Benghabrit à la tête du ministère de l’Éducation nationale. En juillet 2015, cette ancienne chercheuse organise une conférence d’évaluation de la mise en œuvre de la réforme qui regroupe des professionnels, des syndicalistes et des parents d’élèves. Les experts font le bilan des mesures appliquées depuis 2003 et des dysfonctionnements enregistrés. Ils formulent des recommandations pour « une école de qualité ». « C’est un événement majeur », souligne Ahmed Tessa. Mais une proposition relative à l’usage des langues maternelles dans le préscolaire suscite une véritable levée de boucliers. Nouria Benghabrit est accusée de vouloir remettre en cause l’enseignement de l’arabe classique, la langue du Coran.

« Conflits idéologiques »

« C’était la recommandation d’un atelier qui n’a même pas donné lieu à une décision du ministère. Mais il fallait une étincelle pour créer le brouhaha. Il fallait trouver quelque chose pour empêcher la machine de la modernisation de l’école d’avancer », analyse Ahmed Tessa. Pour lui, l’objectif des détracteurs de la ministre de l’Éducation était d’empêcher la prise en charge des autres recommandations « qui sont beaucoup plus importantes », « plus pertinentes », et qui portent notamment sur la « modernisation des méthodes d’enseignement », la « modernisation de la formation des enseignants » et « des techniques de fabrication des livres scolaires ». L’école est en réalité victime de conflits idéologiques, selon l’auteur de L’Impossible Éradication : l’enseignement du français en Algérie.

Langue arabe, sciences islamiques et autres tabous

Chaque mesure ou proposition liée à la langue arabe ou aux sciences islamiques met le feu aux poudres. « Bien sûr, il y a des tabous auxquels le ministère ne peut pas toucher. La polémique autour de l’éventuelle suppression de l’épreuve de sciences islamiques au baccalauréat le montre bien », rappelle un enseignant à la retraite. Ahmed Tessa pointe du doigt les partis conservateurs et wahhabites, leurs relais notamment dans les organisations syndicales et certains médias. « Le point qui enrage ces gens est la réhabilitation de l’algérianité dans l’enseignement de l’histoire et les manuels de langue arabe, tamazight et français », pense ce pédagogue.

Des raisons politiques

La mise en œuvre de la réforme s’est toujours faite « dans un climat conflictuel pour des raisons idéologiques, certes, mais plus profondément politiques », selon Khaoula Taleb Ibrahimi. « L’école est un des instruments de contrôle social que le pouvoir politique peine à partager avec d’autres segments de la société. Il y a été contraint par la volonté d’acteurs sociaux qui ont créé des écoles privées algériennes et/ou par le choix de certains d’entre eux de privilégier les écoles étrangères », explique cette universitaire. L’obstacle à l’aboutissement de ce projet demeure, pour elle, « éminemment politique ».

« Le pouvoir en place ne peut rien imposer même quand c’est de son ressort, plus de son devoir, de le faire. L’informel, dans le sens du contournement de la loi et des normes, gangrène tous les secteurs, y compris l’école », résume la spécialiste des sciences du langage, qui estime que l’école « baigne dans un environnement anxiogène » puisque le « pays n’est pas gouverné et la société se débrouille des solutions à la mesure des moyens et des stratégies de chaque catégorie sociale ». « Vous comprendrez qu’il sera presque impossible de construire un consensus sur l’école comme d’ailleurs sur n’importe quelle question qui implique l’avenir de ce pays », conclut-elle.

lepoint.fr

Written by Abdourahmane

Je suis Diplômé en Aménagement et Gestion Urbaine en Afrique, Spécialiste en économie urbaine en même tant Reporter et Éditeur au Journal Universitaire. Je suis également un passionné des TIC.

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